mercredi 2 octobre 2013

→ LA TRILOGIE DE LA VILLEGIATURE - COMÉDIE FRANÇAISE

« Enfin, nous sommes arrivés à ce moment tant désiré ! La crainte de ne pas pouvoir y aller nous a beaucoup agités, comme chaque année, d’ailleurs, en cette saison. Bon voyage, donc, à ceux qui partent et bon séjour quand même à ceux qui restent. »
Il n’y a pas à tergiverser. La nouvelle saison de la Comédie française s’est ouverte avec un chef d’œuvre. Quel bonheur que cette Trilogie de la villégiature ! La pièce de Goldoni est une vraie merveille, les comédiens sont sensationnels, la mise en scène est fabuleuse. On touche à la perfection, tout simplement.
  
J’avais déjà vu la Trilogie de la villégiature au théâtre éphémère début 2012 (déjà !), et je pensais qu’il ne me serait jamais donné de la revoir. Il faut dire que la Trilogie, c’est en fait trois pièces (la Manie de la villégiature, les Aventures de la villégiature, et le Retour de la villégiature), une pièce fleuve donc, qui n’est montée qu’exceptionnellement. J’avais éprouvé alors un tel enthousiasme et j’avais été si touchée, que quand j’ai vu que la pièce était reprise à la Comédie française, avec la même distribution, j’ai dû me retenir pour ne pas pousser de grands cris de joie !

Vendredi dernier donc, je suis retournée salle Richelieu, avec la certitude de repartir pour une saison entière de bonheur théâtral. Cette année, je me suis montrée plus raisonnable que l’année dernière, et j’ai pris ma carte jeune à la Comédie française (il faut dire que j’y suis allée presque 15 fois l’an passé !).

Pouvait-on rêver meilleur lancement de saison ? La Trilogie de la villégiature restait, et restera longtemps, comme l’un de mes meilleurs souvenirs du Français. Vendredi comme il y a presque deux ans, je suis passée par tant de sentiments que je serais bien incapable de vous décrire ce que j’ai éprouvé. La dernière fois, je n’avais pas réussi à écrire mon article. Une fois n’est pas coutume, et c’est paradoxal alors que j’aurais tant de choses à dire, mon billet sera peut-être court. 
Par où commencer ? Je me souviens que la Trilogie m’avait fait penser à ces mini-séries dont la BBC a le secret, délicieusement romanesques, qu’on ne peut s’empêcher de regarder d’une seule traite. La pièce dure 4h30 environ, ça semble long… et pourtant ! Le spectacle ne souffre pas la plus petite longueur, on attend chaque nouvel épisode avec impatience, le cœur battant, chaque pièce nous va droit au cœur, et c’est avec beaucoup de regret qu’on voit venir la fin.

La Trilogie de la villégiature, c’est un peu Tchekhov en Italie. Cette impression que j’ai n’est sans doute pas étrangère au fait qu’Alain Françon a aussi mis en scène les Trois sœurs à la Comédie française, avec une distribution, mais surtout un ton presque identiques. 

Mais peut-être y a-t-il autre chose ? On trouve chez Goldoni comme chez Tchekhov, cette écriture si fine des personnages, une simplicité et une délicatesse de sentiments, une étonnante profondeur psychologique, une mélancolie et une nostalgie omniprésentes. Le parti pris du metteur en scène, ce respect du texte, cette modestie, cette humilité dans la mise en scène qui s’efface derrière l’auteur, sied aussi bien à Goldoni qu’à Tchekhov. Une place immense est laissée au texte, simple, drôle, sensible, ainsi qu’aux comédiens dont le jeu est impressionnant de justesse.

La Trilogie de la villégiature resplendit grâce à la troupe, qui joue une partition sans faute. Je voudrais citer chacun des comédiens. Laurent Stocker, Anne Kessler (méconnaissable, une démarche incroyable, en apparence si frivole, presque stupide, et qui finalement attire la compassion), Michel Vuillermoz (débonnaire, pique-assiette assez peu délicat, et si drôle !),  Danièle Lebrun, Bruno Raffaelli, Hervé Pierre… C’est tous ensemble qu’ils illuminent la pièce.
Je n’attendais pas des comédiens de l’envergure d’Eric Ruf et d’Elsa Lepoivre (une des comédiennes du Français que j’admire le plus) dans le rôle des serviteurs. Pourtant quand on y pense, n’était-ce pas une évidence ? Dans la pièce de Goldoni, les domestiques sont les plus vrais, les plus raisonnables. Alors que leurs maîtres ne savent pas vivre, et se dispersent, ce sont eux qui ont droit au bonheur, dans leur simplicité et leur bon sens. Eux seuls sont à même d’apprécier un concert de violon, sur la petite place à la tombée du jour. Alain Françon estimait important de ne pas couper le texte des domestiques, et il fallait bien Eric Ruf et Elsa Lepoivre pour donner à Paolo et Brigida assez de dignité et d’élégance.

Enfin, comment ne pas parler de Guillaume Gallienne et de Georgia Scalliet ? Je ne serais pas tout à fait sincère si j’omettais de dire que je suis une incorrigible romantique. J’ai été troublée par la passion retenue qui lie Guglielmo et Gacinta, par leur incapacité presque déchirante à exprimer leur amour.

« Je connais mon devoir, ne craignez pas que j’outrepasse les limites, ni que j’abuse de votre bonté. Je vais simplement vous dire que je vous aime ; mais que si mon amour pouvait porter le moindre préjudice à vos intérêts ou à votre tranquillité, je suis prêt à me sacrifier si vous le souhaitez.
- (à part) Qui pourrait répondre à une proposition si généreuse ?
- J’ai dit quelque chose qui ne mérite pas de réponse ? »

Guillaume Gallienne m’a beaucoup troublée dans le rôle de Guglielmo. Il joue le rôle du jeune premier, un rôle inattendu qu’il interprète néanmoins avec une précision d’orfèvre. D’une réserve à toute épreuve, véritable gentleman, il est tour à tour fébrile, mélancolique, mais aussi égoïste, impertinent (la fameuse lettre notamment) et froid parfois. Comment ne pas ressentir profondément la passion douloureuse, puis le désarroi de son personnage ? On ne peut pas s’empêcher de frissonner lorsqu’il prononce ce prénom de Giacinta (même Vittoria… presque mon prénom n’est-ce pas !). On ne peut pas non plus ne pas trembler à chaque fois qu’il pénètre sur scène, et qu’il parle de sa voix au timbre si caractéristique.
Quant à Georgia Scalliet… comédienne que j’adore entre toutes ! Elle porte la Trilogie de la villégiature du début à la fin, avec une subtilité et une fraîcheur hors du commun. J’aime infiniment, et de plus en plus, cette comédienne qui semble si vraie, si sincère, si sensible lorsqu’elle joue. Jamais elle ne dit son texte comme on pourrait s’y attendre. Comme l’écriture de Goldoni, elle glisse constamment du rire aux larmes, avec une délicatesse impressionnante. Il semble difficile de pouvoir transmettre autant d’émotion, avec autant de finesse.

Il faut dire également que Giacinta est un personnage féminin fabuleux, que je retiens comme l’un des plus beaux que j’ai croisés dans la littérature. Intelligente, réservée, altière, sûre d’elle, intellectuelle, indépendante, sensible et parfois fragile, Giacinta est infiniment respectueuse des règles que sa classe bourgeoise lui a apprises, mais aussi et surtout de la ligne de conduite qu’elle s’est elle-même donnée. Obsédée par sa réputation, résolue à agir par vertu et honneur, victime de sa propre erreur, de cet engagement précipité avec Leonardo, la jeune femme se condamne elle-même à être malheureuse.

A chaque instant, c’est sa raison et sa volonté qui la guident, elle refuse de s’abandonner à ses sentiments… alors qu’il semble si simple de faire marche arrière ! Qu’il est poignant, et désolant, de la voir s’écraser ainsi le cœur tout au long de la Trilogie, et d’emporter dans ce drame Guglielmo, Leonardo et Vittoria. 
« Par exemple, si dans mon cerveau s’ouvre la petite case qui me fait penser à Guglielmo je dois avoir recours à la raison, et la raison va guider ma volonté pour ouvrir les petites cases où se trouvent les pensées du devoir, de l’honnêteté, de la réputation ; si on ne les trouve pas assez vite, il suffit d’ouvrir celles qui contiennent des choses plus légères, par exemple les robes, les dentelles, les jeux de cartes, les loteries, les conversations, les dîners, les promenades, et autres ».

Pour reprendre les mots d’Alain Françon, la pièce est « une trilogie acide sur cette société vénitienne qui prend ses vacances à la campagne. […] Là, il [Goldoni] s’aperçoit que les espoirs fondés sur leur perfectionnisme moral sont illusoires ». La première pièce est drôle, gaie et impertinente. Les jeunes gens préparent leur voyage dans une grande agitation, les bagages sont faits, défaits puis refaits, les robes à la dernière mode sont achevées… c’est un départ à la campagne tapageur et joyeux !

Pourtant, entre la dépense allègre des derniers deniers et la frivolité de tous ces bourgeois, on sent déjà le drame se dessiner. Le texte de Goldoni est teinté d’amertume. Il est même cruel par instants. Bien que certains personnages gardent leur gaieté effrontée (notamment les plus âgés d’entre eux) et qu’il y ait tout au long de la pièce un je-ne-sais quoi de lumineux (qui tient beaucoup, je pense, à Giacinta, si délicate), la Trilogie de la villégiature glisse vers la mélancolie, la déception, la tristesse, la résignation…

Pour achever ce billet, ajoutons simplement combien les costumes (les robes notamment), et les décors sont magnifiques (les images parlent d’elles-mêmes !). Un vrai régal pour les yeux ! Le décor de la deuxième pièce est tout simplement merveilleux : une petite place toute italienne, la campagne toscane à perte de vue, le soleil dont on devine la course dans le ciel, les lampions lorsque la nuit tombe… La scénographie est dominée par une lumière douce et triste, à l’image de la pièce elle-même.
Il y a quelque chose de très beau dans la Trilogie de la Villégiature, des personnages merveilleusement croqués, humains, émouvants, et un style infiniment agréable, léger, pur, poétique. Je sais que la pièce n’est déjà plus jouée à la Comédie française. Mais si un jour vous avez l’occasion d’aller voir la mise en scène d’Alain Françon, allez-y les yeux fermés. Je ne le dirai pas assez : la Trilogie de la Villégiature est un chef d’œuvre. Tout simplement magique !

4 commentaires:

  1. Ton article me donne une irrésistible envie de revoir la pièce ! Il est parfait !

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    1. Ooh merci MDT ! :) Mais comment ne pas donner envie de voir cette Trilogie ? Ne serait-ce qu'en regardant les décors, les couleurs, les costumes ! (d'ailleurs, les photos que j'ai mises ici sortent de l'Avant scène théâtre de décembre 2011 qui est formidable ! On trouve le texte en intégral, traduit tout spécialement pour Alain Françon, et de magnifiques photos de la représentation).

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  2. Encore une pièce que je regrette d'avoir raté... C'est bien dommage mais qui sait, avec un peu de chance, elle repassera peut-être un jour? ;)

    Ju

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    1. Ca me fait plaisir que tu viennes me lire ici, Ju, vraiment ! La Trilogie de la Villégiature était un spectacle vraiment magique. Je l'ai vu il y a deux saisons, et vu que la pièce dure 4h30, je me disais bien qu'il n'y avait aucune chance qu'elle soit reprise. Et puis elle a été reprise cette saison, au mois de septembre, pour lancer l'année. Je n'osais même pas y croire, c'est une telle merveille, et pouvoir revoir la pièce était une chance ! Donc voilà, croisons les doigts, et peut être pourras tu y aller aussi. Et puis il y a aussi Laurent Stocker dedans, et il est également parfait.

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