dimanche 22 septembre 2013

→ MACBETH - MISE EN SCENE DE LAURENT PELLY

«  Salut, Macbeth ! Salut à toi, thane de Glamis ! 
- Salut, Macbeth ! Salut à toi, thane de Cawdor !
- Salut, Macbeth, qui plus tard sera roi ! » 

Me voici de retour pour une nouvelle saison théâtrale ! Nous verrons si j’arrive à tenir mes bonnes résolutions, et à écrire sur chacune des pièces que j’irai voir. Mais aujourd’hui, pas de question à se poser ! Attaquons nous à Macbeth, masterpiece de l’immense dramaturge et poète anglais, William Shakespeare.

Quand j’avais vu que Macbeth, interprété par Thierry Hancisse et mis en scène par Laurent Pelly, faisait partie de la programmation du TNT de Toulouse la saison dernière, j’avais enragé de ne pas habiter Toulouse et désespéré de jamais pouvoir voir ce Macbeth-là. Alors quand j’ai appris, il y a à peine quelques semaines et presque par hasard, que la pièce venait se jouer à Nanterre au théâtre des Amandiers, j’ai été transportée !

Evidemment, j’allais au théâtre avec tellement d’attentes que je reviens tout de même un peu déçue. Mais si peu en vérité, que je ne peux que vous conseiller de vous ruer à Nanterre, pour assister à ce spectacle épique, impressionnant et, si on peut dire, puissant !

Je connais assez peu Shakespeare. Je connais de nombreuses de ses pièces, que ce soit au travers d’adaptations cinéma, du texte lui-même, des opéras qui en sont tirés, des quelques représentations auxquelles j’ai pu assister… Mais je n’arrive pas à connaître Shakespeare. Je trouve les pièces comme Hamlet (que j’ai lue très récemment - et au passage, je ne vois absolument pas Denis Podalydès dans le rôle éponyme) ou Macbeth (découverte en détail seulement jeudi dernier aux Amandiers) extrêmement complexes.

Il me semble que l’écriture de Shakespeare est épineuse, ardue, tortueuse, presque impénétrable. J’imagine que les tragédies de Shakespeare sont un peu comme les opéras, il faut les apprivoiser par petits morceaux, les ressentir par moments, travailler à les apprécier et à les comprendre. Il n’y a chez Shakespeare qu’un seul tout, terriblement complexe. L’humour, le grotesque, le tragique se mélangent constamment. Ses personnages peuvent passer de grivoiseries hardies aux questionnements les plus élevés.

La légende veut que Macbeth soit une pièce maudite. Il y a dans Macbeth une dimension en plus, un je-ne-sais quoi d’inquiétant, d’inéluctable, quelque chose d’invisible et d’effrayant. Les comédiens désignent Macbeth par la périphrase "la pièce écossaise", parce que prononcer son nom sur scène porte malheur. Cet été encore, le très shakespearien Kenneth Branagh aurait blessé un de ses partenaires en pleine représentation. Et la fille d’Alex Kingston faisait des cauchemars les soirs où sa maman répétait son rôle de Lady Macbeth. 

A Nanterre-Amandiers, c’est la mise en scène de Laurent Pelly qu’il faut aller voir. Elle est une lecture moderne de la pièce, percutante en diable, qui envoûte, fascine et aspire le spectateur dès la première seconde. Laurent Pelly donne toute sa place à cette ombre féroce qui engloutit la pièce de Shakespeare.

D’une esthétique implacable, la scène presque toujours plongée dans l’obscurité, parcourue de temps à autre par un rayon de lumière crue, la scénographie touche au sublime. J’ai pu lire sur internet une comparaison avec les toiles du peintre américain Hopper, et je confirme qu’elle est plus que pertinente. Une lumière agressive, la solitude impitoyable des protagonistes, les nombreux clairs obscurs, une esthétique dépouillée, violente, pointue.

Jeudi soir, j’ai vu quelque chose de complètement nouveau. Laurent Pelly fait du théâtre un art complet, du grand spectacle en somme. Peut-être n’est-ce pas étranger au fait qu’il a beaucoup travaillé pour l’art lyrique ?

Le brouillard qui noie parfois la scène transforme chaque instant en une image percutante, indélébile, magnifique. Cette impression est accentuée par la fermeture du rideau entre chaque scène ou presque, qui fait de chaque instant un tableau à lui seul. La musique, forte, d’une grande puissance évocatrice, beaucoup de basses fortes et de grondements lointains, est très présente elle aussi, entre les scènes mais également, ce qui est très surprenant au théâtre, en fond sonore. Il semble parfois qu’on n’est plus au théâtre, mais au cinéma. 

Certains passages sont véritablement extraordinaires. Il y a par exemple l’apparition des trois sorcières, grotesques et fascinantes, tout droit sorties du gothique anglais (sans parler d'Hécate, charismatique et décalée avec son balai-brosse). Il y a également l’assassinat du roi Duncan, Macbeth agenouillé devant le robinet, les mains pleines de sang, et Lady Macbeth qui lui prend les poignards des mains, qui ne comprend pas pourquoi dans son égarement il ne les a pas laissés près du corps.

La scène de folie somnambule de Lady Macbeth est splendide aussi, avec ce rai de lumière blafarde qui sort de la maison. On pourrait citer chaque instant, les murs de béton modulables qui bougent entre chaque scène, créant de nouvelles perspectives, le trône de Macbeth qui devient de plus en plus grand et qui envahit l'espace, les scènes de combat où on ne devine plus que la silhouette des comédiens… 

Ce que j’ai apprécié plus que tout (c’est un peu ce que j’avais adoré aussi dans Le Chapeau de paille d’Italie de Corsetti à la Comédie française la saison dernière), c’est que le metteur en scène nous livre sa lecture de Macbeth. C’est sa lecture, une lecture parmi d’autres, une véritable relecture, et pourtant la pièce de Shakespeare n’est pas le moins du monde dénaturée. Au contraire, elle apparaît au spectateur dans toute sa pureté, sans artifice. En voyant cette mise en scène là, je me suis dit, que oui, Macbeth, c’était ça.

« La vie n’est qu’un fantôme errant, un pauvre comédien qui se pavane et s’agite durant son heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend plus ; c’est une histoire dite par un idiot, pleine de fracas et de furie, et qui ne signifie rien… »

A tout ceci, il y a quand même un bémol. La mise en scène est peut-être parfois trop envahissante. A certains moments, je me suis demandé si ce n’était pas un petit peu too much, au point d’être de l’esbroufe voire d’édulcorer ou de simplifier le texte. Le rideau qui s'ouvre et se referme sans cesse finit par casser le rythme. Mais surtout, surtout, la mise en scène ne laisse pas suffisamment de place aux comédiens, et en tout cas, certains d’entre eux ont du mal à trouver la leur. 

Ce n’est pas le cas de Thierry Hancisse (Macbeth), de Marie-Sophie Ferdane (Lady Macbeth), de Pierre Aussedat (Duncan, Hécate, deux rôles aux antipodes !) et de Rémi Gibier (très juste en Macduff). Mais j’ai trouvé le reste de la distribution un peu pâlichon.

Je ne connaissais pas Emmanuel Daumas, et peut-être est-il d’ordinaire un comédien talentueux. Mais dans le rôle de Malcolm, et je suis réellement désolée de ne pouvoir dire autre chose, je l’ai trouvé assez mauvais. Le comédien a réellement atomisé la scène de l’acte IV, où il doit se positionner comme le leader de la rébellion contre l’oppression de Macbeth. Certes, Laurent Pelly le dit : « Et si Malcolm, contaminé par le pouvoir, n’était qu’un Macbeth en gestation ? », et je conçois qu’il ne soit pas le héros sans peur et sans reproche. Mais là, cela sonnait si faux, que je n’ai pu m’empêcher de lui souhaiter d’échouer dans sa rébellion (enfin presque !). 

Mais comment s’en sortir lorsqu’on a en face de soi des partenaires au jeu si nuancé ? Evidemment, comme d’habitude, je ne suis pas objective devant Thierry Hancisse, comédien que j’admire entre tous. Jeudi soir, je crois qu’il n’était pas tout à fait en forme, et sa diction d’ordinaire si parfaite a un peu souffert. J’ai aussi déploré au départ qu’il ne soit pas plus digne, plus raide, plus sûr de lui, lorsqu’il est encore chef des armées, puis quand il monte sur le trône pour la première fois. J’aurais voulu ne pas retrouver ce dont il parle comme de « son animalité », sa souplesse.

Et puis j’ai changé d’avis. Y-avait-il en réalité une meilleure façon de traduire la profondeur de Macbeth qu’en l’interprétant si loin de toute caricature ? Dès le début, on sent la fragilité de Macbeth, dont le rire est déjà surprenant, presque inquiétant. Macbeth entrevoit la possibilité de devenir roi, s’en fait un plaisir, mais n’ose y penser, pressent la possibilité d’un meurtre, mais n’ose regarder cette idée en face. Il oscille constamment entre pensées coupables, remords, avidité, faiblesse, déception, désarroi, cruauté, passion, égarement, et tend de plus en plus vers la folie.

«  Ô temps, tu préviens mes exploits redoutés. L’intention fugace n’est jamais atteinte, à moins que l’action ne l’accompagne. A l’avenir, le premier mouvement de mon cœur sera le premier mouvement de ma main. Aujourd’hui même, pour couronner ma pensée par un acte, que la résolution prise soit exécutée. »

Chacune de ses répliques est un ensemble du tout, et c’est ce que Thierry Hancisse rend avec un incroyable talent. Il fait de Macbeth un personnage éminemment humain. Comme le dit Laurent Pelly : « Macbeth n’est pas seulement le nouveau roi d’Ecosse. Il est en chacun de nous. »

Marie-Sophie Ferdane (qui quitte d’ailleurs la Comédie française cette année, je pense que je la regretterai) est aussi tout à fait juste dans le rôle de Lady Macbeth. Quel personnage féminin impressionnant (surtout quand on songe à la date à laquelle Macbeth a été écrite !). C’est elle qui pousse son mari, « qui joue à la fois pour lui un rôle de mère et, assumant violence, ambition et jouissance du pouvoir le rappelle à l’ordre viril. Une sorte de surmoi qui serait le désir de Macbeth par procuration… ». Et pourtant, elle est incapable de tuer elle-même Duncan, qui ressemble à son père lorsqu’il dort. Elle aussi, et on pourrait être surpris, est humaine…

Je n’ai toujours pas compris de quoi parle vraiment la pièce. Il y est question d’un meurtre bien-sûr, de la culpabilité et de la folie qu’il entraine, de la soif du pouvoir, de cette obsession pour le destin. Il y a aussi ces paroles de son épouse qui obsèdent Macbeth : il ne faut pas réfléchir, car la réflexion empêche l’action. Impossible ici de ne pas faire le parallèle avec Hamlet qui lui est incapable d’agir.

Mais on sent bien que dans Macbeth il y a une foule d’autres choses, qui touchent à la profondeur de l’âme humaine, aux noires pensées que nous avons tous en nous… et Shakespeare en parle de manière tellement fascinante…

« J’ai presque perdu le goût de l’inquiétude. Il fut un temps où mes sens se seraient glacés au moindre cri nocturne, où mes cheveux à un récit lugubre, se seraient dressés et agités comme s’ils étaient vivants. Je me suis gorgé d’horreurs. L’épouvante familière à mes meurtrières pensées, ne peut plus me faire tressaillir. »

Vous ne devez en aucun cas hésiter. La pièce se joue au théâtre des Amandiers de Nanterre jusqu’au 13 octobre, et jeudi soir, la salle était seulement pleine aux deux-tiers, ce qui est révoltant, lorsqu’on assiste à un tel spectacle.

4 commentaires:

  1. Tes réserves sur Shakespeare me surprennent un peu... C'est un théâtre ardent, vivant, explosif même, qui me parle beaucoup. Je ne m'en lasse pas... Tu lui reproches son mélange des genres ? C'est tellement audacieux pour l'époque que personnellement j'applaudis ! Avec lui, pour la première fois, on a un théâtre non élitaire, qui s'adresse aussi bien aux basses classes sans éducation qu'à la reine elle-même... Et c'est mon idée du théâtre.
    En tout cas, j'enrage ! Rater, par deux fois, un tel spectacle...

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    1. Très heureuse de te revoir ici Minyu ! Cette pièce est un vraiment un bon souvenir pour moi, Thierry Hancisse, au top comme d'habitude !

      Je n'ai pas vraiment de réserves sur Shakespeare en fait (je suis étonnée que tu l'ai compris comme ça :) ) et je suis d'accord avec tout ce que tu dis (théâtre riche, qui mélange les genres - mélange que j'adore, je suis très très friande et adepte de ces joyeux mélanges que font les anglais !, audacieux et adressé à tous). A tout cela j'applaudis !

      Seulement, il me semble que je n'ai pas encore la maturité (à moins que ce ne soit pas ma sensibilité) pour comprendre Shakespeare. Je trouve que l'écriture, et les sujets abordés sont complexes, et abordés sous un angle assez cérébral, et j'ai souvent un peu de mal à ressentir Shakespeare.

      Quant à proposer un théâtre de qualité, qui s'adresse à tous, l'élite et les basses classes... je suis plus qu'enthousiaste ! C'est également tout à fait mon idée du théâtre ! (tu pourras voir que j'en ai parlé dans mon billet sur l'Ecole des femmes, mes par Schiaretti avec Robin Renucci et les Tréteaux de France). Donc en sommes, nous sommes assez d'accord.

      Tu as de la chance de pouvoir ressentir Shakespeare comme ça. Question dramaturge, c'est de Tchechkov dont je me sens la plus proche, et qui me parle le plus. :)

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    2. De Tchekhov ? Vraiment ? Un peu comme Stanislavski alors ! :) Et bien moi tu vois, ce serait plutôt l'inverse. Je ressens très peu Tchekhov... Trop cérébral à mon goût ! :) C'est un question de culture aussi, le monde russe me parle très peu. Sauf exception : La Mouette ! Je la classe facilement dans mon top5 de mes pièces préférées. Je paierais pour interpréter Treplev...

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    3. Oui, Tcheckhov... :) Sans savoir pourquoi, je me sens proche de la culture russe, et tous les romans russes me parlent de la même manière. Je dois avoir des prédispositions pour l'âme russe, c'est étonnant !
      Mais qui est donc le plus cérébral ? C'est ce qui est formidable avec le théâtre : cette possiblité de réinterpréter le même texte, à l'infini, et de faire passer mille émotions différentes, et de toucher chacun différemment. J'attends encore de voir jouer une pièce de Shakespeare qui me bouleversera. Mais ma prof de théâtre soutient que les Français ne savent pas vraiment jouer Shakespeare.

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